[Anthropobotic] Gros pépin ! Orange n’a plus de jus.

Le mardi 25 février 2025, à 13h15 environ, une panne est survenue sur le réseau Orange dans mon village et alentours. Elle aura duré plusieurs heures (entre 4 à 5 heures chez certains, près de 9 heures chez moi et jusqu’à 12 heures ailleurs). Cette panne ne concernait pas uniquement la connexion Internet. Le réseau mobile était aussi touché. Plus d’Internet et/ou plus de 4G/5G selon les commentaires laissés sur le groupe Facebook de mon village.

Est-ce que cela m’a dérangée ? Non si ce n’est que je me suis rendue à la boutique d’à côté au bout de quelques heures pour vérifier si cette panne était générale ou si elle avait lieu uniquement à mon domicile. Qu’ai-je fait ? Ce que je fais de façon ordinaire sauf utiliser mon ordinateur. J’ai cuisiné en écoutant le CD de la comédie musicale Les misérables sur ma vieille chaîne stéréo, je me suis occupée de mon jardin (c’est la saison avant l’arrivé du printemps), j’ai fait un brin de ménage, j’ai noté quelques réflexions dans mon cahier de brouillon et j’ai terminé le livre La convivialité d’Ivan Illich. Cette panne était pour le coup très à propos. C’est donc par ce concept de convivialité que je vais interroger pour ne pas dire diagnostiquer cette panne.

Est-ce que le réseau de communication actuel est un outil convivial au sens illichien du terme ?

Rappelons les trois caractéristiques données par Ivan Illich pour qu’un outil soit juste : 

  • il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle ;
  • il ne suscite ni esclaves, ni maîtres ;
  • il élargit le rayon d’action personnel.

“L’homme a besoin d’une technologie qui tire le meilleur parti de l’énergie et de l’imagination personnelles, non d’une technologie qui l’asservisse et le programme.”

J’ai lancé un appel à témoignage sur différents réseaux sociaux. Les retours qui m’ont été donnés montrent que le réseau de communication actuel (internet et mobile) n’est pas convivial car il ne respecte aucun critère. D’abord, la dépendance (1er critère) ; ensuite le monopole du réseau et la complexité technique du système inaccessible au commun qui créent un rapport asymétrique entre le fournisseur et l’utilisateur (2ème critère) ; enfin l’impossibilité de pouvoir joindre quelqu’un ou être joint (3ème critère). Le premier et le derniers points sont les deux préoccupations majeures qui ressortent des témoignages collectés.

“Je me suis aperçue que j’étais totalement dépendante de ma connexion…  C’est dans mon cas très angoissant de se rendre compte qu’on ne peut joindre aucun proche ou même un médecin. […] Angoissant cette panne…”

“Aucun moyen de contacter ou d’être contacté, je me suis senti isolé.”

“Certains enfants (relativement grands) on va dire dans les 12 ans étaient seuls chez eux sans pouvoir joindre leurs parents en cas de problème.”

“Il n’y avait même plus de téléphonie ! Dans les maisons récentes, la téléphonie passe par la box. Aucune possibilité de passer un appel urgent ou autre. Et la téléphonie mobile ne fonctionnait pas non plus (je suis chez Orange). C’est surtout ça qui était problématique ! […] Avant, en cas de besoin, on pouvait toujours utiliser un téléphone fixe. Désormais, ce n’est plus le cas !”

“On se rend compte que l’on dépend beaucoup d’internet.”

“On est totalement dépendants !”

“Pour ma part, petit agacement de ne pas pouvoir joindre les miens sur l’instant. […] Pour mon fils (adulte), un manque d’être joignable.”

“Les seules “inquiétudes” concernaient : la sécurité à cause de l’impossibilité de communiquer en cas de besoin ; l’inquiétude que nous pouvions créer envers nos proches ou ne pas avoir de nouvelles d’eux en ne pouvant pas avoir accès à la messagerie ni aux appels. Par contre, les enfants étaient au fond du trou.”

“Le seul inconvénient était l’impossibilité de joindre mes enfants.”

Ne pas pouvoir téléphoner ou même être appelée est aussi ce qui m’a le plus dérangé. Je m’étais d’ailleurs dit que si le réseau n’était pas rétabli le lendemain, j’irai chez un voisin bénéficiant d’un autre réseau (SFR, Free, autre) afin de pouvoir prévenir mes parents âgés de la situation pour qu’ils ne s’inquiètent pas. Car s’ils avaient essayé de me joindre, ils n’y seraient pas parvenus. J’avais même envisagé de prendre ma voiture pour leur rendre visite. J’avais à ma disposition quelques solutions de change. Je me suis même demandé si je n’allais pas brancher un vieux téléphone avec cette bonne vieille prise en T. Malheureusement, ma maison a déjà été trop modernisée. Et de toutes façons, la fin du réseau téléphonique commuté (RTC) est actée depuis 2018. L’ADSL commence à subir le même sort depuis janvier 2025. Arrêt définitif prévu pour 2030. Tout ça au profit de la fibre optique.

Comment sommes-nous arrivés à nous retrouver avec des outils de communication qui engendrent une telle dépendance ? La raison tient en quelques mots : standardisation et monopolisation. Les modèles de communication sont désormais standardisés. Courriel, messagerie instantanée, téléphonie, sms, appels vidéo, discussion en messagerie privée ou sur des groupes, etc. Tout cela repose sur le réseau Internet et le réseau mobile et c’est tout. Qui écrit encore par courrier ? Je ne parle pas des courriers administratifs, je parle des lettres et des cartes postales qui étaient encore envoyées dans les années 80 pour se donner quelques nouvelles particulièrement à l’occasion des vacances. Les modèles de communication actuels nous mettent immédiatement en contact : c’est la promesse de l’instantanéité. Direct message sur Instagram ou Facebook et messagerie instantanée comme WhatsApp ou Telegram nous mettent en contact subito avec notre interlocuteur. Au pire devons-nous attendre quelques minutes. Mais quand la réponse tarde à venir (au bout de quelques heures ou pire après plusieurs jours), nous sommes troublés. Nous avons de plus en plus de mal à différer notre désir et nous devenons impatients. Une impatience qui peut se transformer en agressivité : colère, agacement, rumination, mauvaise pensée, etc.

Les réseaux de communication actuels nous imposent leur rythme. L’information doit circuler en permanence et sans nous en rendre compte, nous sommes entrés dans cette spirale. Sans même parler de pouvoir communiquer avec notre prochain via ces technologies, regardons notre usage d’Internet. Je me pose une question ? Google. Je veux connaître la recette de ce plat ? Google. Je veux un résumé de ce livre ? ChatGPT. Un podcast, une vidéo, une musique ? Internet met tout à notre disposition par un simple clic et/ou un prompt. Tout se pense dans l’instant. Et il nous devient difficile de différer nos désirs et nos besoins.

“Les enfants râlaient de ne pas pouvoir mettre le film (streaming) initialement prévu.”

“Plus de télé, de musique, de téléphone, plus de possibilité de paiement dans les commerces, de retrait d’argent dans les banques… Le néant.”

“Obligée de prendre la voiture et de s’éloigner juste pour traiter des appels qui ne peuvent pas attendre, ça m’a clairement cassé les pieds !”

“On est un peu perdu quand internet est en panne. Nous avons une maison connectée donc quand il y a internet on allume et on éteint tous nos appareils via “ok Google”. Quand il y a une panne on apprend à se lever de nouveau pour tout actionner.”

“Un peu énervé car j’avais besoin. Je n’étais pas à la maison et j’avais besoin d’envoyer des messages et de regarder qq chose importante sur l’internet.”

“Agacé, énervé, perdu, démuni, au fond du trou, agaçant” et aussi “ça casse les pieds”. Tout autant de mots pour définir cette frustration face à un réseau de communication devenu indispensable à notre quotidien et impossible à réparer par nous-même quand il tombe en panne. Car personne d’autres que le fournisseur n’a accès à ce réseau qui fonctionne en circuit fermé : il est uniquement accessible par les techniciens habilités (Simondon). Le mot « agacé » sous diverses déclinaisons est revenu régulièrement dans les témoignages.

Agacé, ée, part. passé et adj.

B.− Au fig. [En parlant d’une pers., d’un élément du comportement humain, d’un phénomène moral] Qui est mis ou qui se trouve dans un état de nervosité accompagné d‘impatience ou d’irritation ; qui révèle cet état.

Agaçant, ante, part. prés., adj. Et subst. masc.

B.− Au fig.

  1. Péj.[En parlant d’une pers. ou d’une manifestation de son être] Qui met dans un état de nervosité accompagné d’impatience ou d’irritation.

Les modèles de communication omniprésents nous ont rendu impatients. Ils nous ont habitués à obtenir ce que nous voulions au moment où nous le voulions. Ils activent de façon quasi permanente notre « principe de plaisir » au détriment du « principe de réalité » (Freud). Et quand ils tombent en panne, c’est bien le principe de réalité qui surgit brusquement. Nous ne serions pas loin de faire « une grosse colère ». En tout cas, nous râlons, nous pestons : cette situation nous irrite et nous met dans un état de nervosité. Dopamine quand tu nous tiens ! Le système de récompense ne fonctionne pas uniquement avec des dark patterns bien connus comme l’infinite scroll ou la course au likes. Il repose aussi sur la demande qui trouve toujours une réponse et plus important encore une réponse immédiate. Ces systèmes nous habituent à être instantanément satisfait. De fait, quand la machine est cassée et que les bonbons ne tombent plus à chaque fois que nous appuyons sur le bouton, notre système de récompense déraille et nous nous sentons mal, irrité, agacé.

Nous sommes donc loin, très loin de l’outil convivial prôné par Ivan Illich. Les réseaux de communication créent de la dépendance en se rendant indispensables. Pas de possibilité de passer et de recevoir des appels. Internet ne fonctionne plus au détriment des personnes en télétravail par exemple. Pensons aussi aux commerçants qui ne pouvaient plus encaisser leurs clients.

“A la supérette du coin, pas de possibilité de paiement, pas de possibilité de retrait.”

“Plus de CB qui passaient au magasin, plus de distributeurs en service … clients sans espèces ni chéquiers. […] une partie des clients « démunis » au moment de régler.”

“Le TPE, le moyen de paiement le plus régulier, ne fonctionne plus. […] nous devons déranger le client pour qu’il aille retirer au distributeur ou s’arranger avec lui pour faire un virement ou autre.”

Ou prendre les réservations.

“Nous ne recevions plus les appels, donc pas de possibilités de prise de réservations ni de commandes à emporter…”

Le chiffre d’affaires de cette journée n’a sûrement pas dû être le meilleur. Est-ce que les assurances couvrent ce genre de problème ? Pour Orange, ce fut vite régler. Un SMS ou un courriel automatique envoyé dès la connexion rétablie à tous leurs clients pour leur annoncer qu’ils bénéficiaient de 200 Go d’Internet mobile supplémentaires offerts. Formidable ! Surtout pour les clients ayant souscrits un abonnement illimité. Nous constatons ici les limites de l’automatisation. Cette compensation uniforme fait fi des différentes formules proposées. C’est absurde !

Cette panne a aussi eu des incidences du côté des professionnels de la santé.

“X devait être hospitalisé aujourd’hui et il devait compléter son dossier sur internet. Et les médecins qui n’ont pas pu consulter les dossiers de leurs patients, des patients qui attendaient des résultats d’analyse…”

Plus le maillage des réseaux de communication se densifie moins il devient convivial. Une panne totale du réseau pendant des heures provoquent des problèmes en chaîne. Nous sommes « englués » dans cette immense toile (wide web) et quand elle casse, nous nous écroulons avec elle. Assurément, le réseau de communication actuel n’élargit pas notre rayon d’action personnel. Bien au contraire, il le limite et l’étouffe dans un tissage dense et inévitable. Pire, il le rétrécit. En nous offrant la possibilité de nous connecter au très loin, il en finit par nous faire oublier le très proche. Il n’est nul besoin d’un quelconque réseau de communication pour aller frapper à la porte de son voisin.

Comment les différents témoins ont réagi face à cette panne ?

« J’ai utilisé le téléphone du travail (fournisseur Bouygues) comme modem pour pouvoir continuer à travailler. Au niveau familial, on a mis un DVD pour les enfants. »

« Déconnexion temporaire bienvenue. Papy est plus présent, plus disponible pour des jeux quand il n’y a plus d’Internet et de télévision. Ma fille, en rigolant, m’a demandé si je n’avais pas soudoyé Orange pour créer une panne. »

« J’ai fait une sortie avec les enfants. Ça n’a rien changer à mon planning. »

« J’ai rattrapé mon dictionnaire, ressorti ma vieille radio… »

« Pour le reste, un bouquin, un jeu de société ou un DVD en famille, ça fait aussi du bien ! J’ai également dû poser un congé payé, puisque je suis en 100% télétravail. »

« Après on fait autre chose, on ressort les dominos, c’est bien aussi. »

« Avec mon épouse nous l’avons plutôt bien vécue en nous disant que se retrouver sans télé, sans téléphone ni internet allait nous faire ressortir nos vieux DVD, nos livres et nous permettre de plus communiquer avec les enfants. »

« On espère juste que ça s’arrange le plus vite possible. »

« Je n’ai rien fait car pas le choix. »

Cette panne aura fait ressortir les objets qui ne nécessitent pas d’être en réseau : les livres, les jeux, les DVD ou encore la radio. En l’absence du réseau de communication, le réseau familial reprend du service : on joue et on discute ensemble. Sur le plan professionnel, la situation était plus délicate à gérer. Les commerçants ne pouvaient que prendre leur mal en patience et compter sur la compréhension de leurs clients. Pour les personnes en télétravail, tout dépendait de leur employeur : poser une journée de congé ou aucune justification demandée.

« Je n’ai eu aucune remarque car c’est une situation connue quand des gens télétravaillent. La coupure ayant eu lieu l’après-midi et n’ayant aucun rendez-vous important ce jour-là, personne ne m’a obligé à revenir sur site. J’ai donc pu profiter de mon après-midi comme bon me semblait sans me justifier. »

Mais tous ont souligné que télétravailler sans réseau, “c’est problématique”. Ce qui est confirmé par les commentaires laissés sur un post au sujet de cette panne sur le groupe Facebook de ma ville.

C’est chaud pour le télétravail quand même. “

“C’est toujours compliqué de télétravailler si on n’a pas internet.”

Comment retrouver des réseaux de communication conviviaux ?

D’abord, il convient de déterminer les usages que nous avons via ces réseaux de communication. Ils peuvent être d’ordre personnel et aussi professionnel. Utilisons-nous bien plus la téléphonie qu’Internet, l’inverse ou c’est équivalent ?

1) La communication

Dans les témoignages reçus, j’ai constaté que c’était essentiellement l’impossibilité de téléphoner et de recevoir des appels qui posait un problème. Il fut un temps où les cabines téléphoniques étaient présentes dans le paysage urbain. C’est peut-être l’occasion de les rétablir. Et plutôt que de vouloir intégralement fermer le réseau RTC et ADSL, pourquoi ne pas les utiliser pour ces cabines comme téléphonie de secours en cas de panne sur la fibre et le réseau mobile ? Nous pourrions aussi ne pas avoir tous nos œufs dans le même panier puisque différents fournisseurs d’accès existent : Orange, Bouygues Télécom, SFR, Free, etc. L’expérience m’a montré qu’avoir un abonnement global qui prend en charge mon Internet et ma téléphonie n’était pas optimal en cas de panne totale. La probabilité que deux réseaux ou tous les réseaux tombent en panne au même moment reste plutôt faible. Certains utilisent déjà Starlink, fournisseur d’accès à Internet par satellite.

« C’est pour ça que j’ai pris Starlink, car impossible de travailler avec toutes les coupures. »

Un peu plus technique et qui nécessite d’avoir quelques connaissances en électronique et en programmation, Meshtastic (Gaulix en France) qui repose sur le système LoRa (Long Range) : « méthode de modulation radio conçue pour transmettre de petites quantités de données (comme un SMS) sur de longues distances. […] En utilisant un réseau maillé, Meshtastic permet à chaque dispositif individuel de servir de point de relais. Ainsi, même en l’absence d’une infrastructure de réseau centralisée, les messages peuvent être passés d’un appareil à l’autre jusqu’à leur destination finale, ce qui augmente significativement la portée et la robustesse du réseau. Le projet Meshtastic est conçu pour être extrêmement adaptable. Il peut être utilisé avec divers types d’appareils et configurations, permettant aux utilisateurs de personnaliser leurs systèmes en fonction de leurs besoins spécifiques. Cette flexibilité est particulièrement pertinente dans un monde où les conditions peuvent changer rapidement et où l’autonomie en termes de gestion de la technologie devient de plus en plus importante. »

La radio cibi ou CB (citizen band) reste d’actualité. Toujours utilisée par les routiers, nous pouvons en avoir une à notre domicile. Il faudra juste veiller à installer l’antenne correctement. La mise en place de la cibi comme celle de Meshtastic (Gaulix en France) peut apparaître quelque peu compliquée. Les membres des associations ou de communautés créées autour de ces objets sont là pour nous aider. Un outil installé par soi-même est un outil convivial car sa structure étant accessible, ouverte (Simondon), nous pouvons le réparer seul ou avec l’aide de quelqu’un. Ce qui peut paraître rébarbatif au départ nous offre une autonomie à l’arrivée. Certes le débit ne sera pas aussi puissant que celui de la fibre mais il nous permettra de garder le contact avec nos proches.

2) Les moyens de paiement

Les commerçants et leurs clients se sont trouvés « démunis » parce qu’ils ne pouvaient plus encaissés tout type de paiement en ligne. Payer par carte bancaire ou via smartphone (NFC) était devenu tout bonnement impossible et les distributeurs automatiques étaient hors service. Le chéquier n’est plus vraiment à la mode mais il est bien pratique et particulièrement convivial quand le numérique lâche. La monnaie fiduciaire aussi d’ailleurs. Nous devrions toujours avoir un peu d’espèces à disposition. Pas nécessairement des mille et des cent mais de quoi faire en fonction de ses besoins pour ne pas se trouver « démuni ». Hier, c’était une panne de réseau, demain cela pourra être une panne d’électricité générale1.

3) Le télétravail

A propos du télétravail, un témoin a eu une réflexion très intéressante :

« Aujourd’hui (le lendemain de la panne) c’était une journée très importante. Si la coupure avait eu lieu ce matin ça aurait été plus problématique. La réunion de ce matin était donc extrêmement importante. Mon entreprise m’avait donné le choix de me déplacer pour y assister en présentiel ou bien de le faire à distance. J’ai fait le choix de le faire à distance car j’estimais que prendre l’avion pour trois heures de réunion ne valait pas le coup d’un point de vue environnemental. Mais cette panne, hier, a remis question ce point de vue. La prochaine fois qu’une réunion aussi importante a lieu, je choisirai de prendre l’avion et de me rendre sur place même pour trois heures plutôt que la visio car on n’est pas à l’abri des coupures qui arrivent n’importe quand et qui peuvent donner une très mauvaise image au client qui ne restera que sur notre ingérence d’une simple coupure Internet. »

La panne comme “krisis” inespérée

Un autre témoin a aussi décidé de se réorganiser en conséquence :

« Je vais, pour certains usages, faire quelques aménagements. Je me suis aperçue que j’étais totalement dépendante de ma connexion. […] Je ne vais pas apprendre à faire des signaux de fumée pour communiquer mais… (rires). »

La panne finie, la vie a repris son cours. Une partie des témoins ont apprécié cette panne qu’ils ont vécu comme un moment privilégié de « déconnexion ». L’occasion de se retrouver en famille et de retisser du lien comme le « papy » qui était plus présent pour sa petite fille.

« La « déconnexion » temporaire ne fait pas de mal dans le principe. »

« Finalement cela nous a permis de parler de comment ça se passait “avant” et de se (parents et enfants) retrouver un peu. Je dirai donc que malheureusement cela n’a pas duré assez longtemps. »

Retour aux sources et aux conversations intergénérationnelles, en famille. Ne pourrions-nous pas dire par extension que l’outil le plus convivial réside dans la rencontre ? Tissons des liens non pas de la même espèce que ceux des réseaux de communication mais bien des liens de proximité. Le cercle le plus proche est bien sûr celui de notre famille et de nos amis mais vient ensuite celui du voisinage. Donnons-nous des occasions pour renforcer ces liens de sociabilité et ainsi savoir qu’en cas de coup dur, il y aura toujours quelqu’un. Bavarder au marché ou sur le pas de la porte. S’inviter pour l’apéritif ou à l’heure du goûter. Nos voisins ne sont sûrement pas tous chez le même fournisseur d’accès. Ils accepteraient sûrement que nous puissions passer un coup de fil pour prévenir nos proches en cas d’urgence. Ils accueilleraient nos enfants et adolescents s’ils en avaient besoin. Ils nous prêteraient le sel, ce fameux ingrédient ô combien précieux, fut un temps, pour faire connaissance.

Contrairement aux apparences, les outils de communication comme les réseaux sociaux nous ont plus isolés que jamais (Sherry Turkle). C’est un jeu de dupe qui nous fait croire que parce que nous nous connectons et parlons avec plein de gens de part le monde, nous ne sommes jamais seul. Mais en cas de coup dur, le principe de réalité prendra une fois de plus le pas sur le principe de plaisir. Il faudra alors avoir su bien s’entourer dans le réel. Et notre réel est dans la proximité, dans les liens tissés avec son prochain, celui qui se trouve juste à côté. Parce que même si nos amis sur les réseaux sociaux veulent être présents, ils ne le pourront pas toujours. Comme constaté, s’il y a une panne totale du réseau, il sera impossible de les prévenir. Et puis, pourront-ils seulement se déplacer ? Et dans combien de temps ? Vivre loin les uns des autres implique des ajustements pour se rencontrer qui demandent un certain temps. En créant un lien social de proximité, des îlots de voisinage, nous replaçons la convivialité au cœur de nos modes de vie. En cas de pépin, mieux vaut compter sur son voisin que sur un réseau qui n’a plus de jus.

Retrouvez toutes les références dans la bibliothèque anthropobotique.


Bonus : Je vous laisse avec une compilation de quelques chansons inspirées par cet objet de communication qu’est le téléphone. D’une certaine façon, il est un outil convivial pour les artistes qui y trouvent une source d’inspiration pour leurs créations.

  1. J’ai déjà vécu cela à Nice en novembre 2008. Je peux vous dire que les gens ont été pris de panique. Les commerçants ont fermé les portes de leur boutique, la circulation automobile est devenue infernale, etc. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Stéphanie Messal (1 avril 2025). [Anthropobotic] Gros pépin ! Orange n’a plus de jus. Misanthropologue. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13lxm


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