Ce billet ainsi que le suivant viendront clore notre travail d’observation et d’analyse autour de l’assistance vocale (AV) étudiée et destinée au milieu industriel. Ici, il sera question de l’école de production (EDP) et là-bas, de la société de gestion de maintenance de réseau.

EDP – Synthèse

Suite aux tests, nous avons posé quelques questions à l’élève choisi pour utiliser l’AV. Nous lui avons demandé s’il ne trouvait pas que ses réponses pouvaient être un peu redondantes. En effet, on ne peut pour le moment que répondre “c’est fait” pour certaines actions et “oui” pour d’autres. L’élève répond que non. Il considère qu’entre chaque commande, il y a le temps de l’action c’est-à-dire le moment où il est sur la machine. C’est un temps qui peut être plus ou moins long. Une fois qu’il a fini cela, il retourne vers l’AV pour valider et ainsi passer à l’étape  suivante. Donc pour lui, cela n’est pas un problème. 

L’élève considère que cet outil est vraiment un bonus dans la formation. Ici le maître professionnel (MP) rappelle qu’il ne faut pas devenir dépendant de l’AV. Il faut qu’à la fin de sa formation, l’élève soit totalement autonome face à la machine. Nous avons donc réfléchi ensemble à ce point crucial. Il pourrait par exemple être possible de paramétrer le niveau de difficulté de l’AV. Niveau débutant : chaque étape est donnée. Niveau intermédiaire : quelques étapes subsistent encore. Niveau confirmé : seules restent quelques étapes cruciales. Niveau expert : rien. 

Le fait que l’élève demande à avoir plus de médias sur la tablette interroge sur l’utilité d’une AV. Il se réfère avant tout à la photo ou la vidéo proposée pour utiliser la machine. Nous voyons bien que la transition du visuel à l’audio ne peut se faire sans un temps nécessaire d’adaptation. Dans notre société, l’image est prépondérante. Passer d’une société de l’image à une société du son ne pourra se faire que dans le temps. Pourtant, nous pourrions objecter en affirmant que les podcasts sont à la mode, ou encore que les radios existent toujours et se démocratisent sur différentes plateformes. Mais quand il s’agit d’apprendre quelque chose, d’autant quand il s’agit comme dans notre cas d’un travail manuel, il est intéressant de constater que le voir prime sur l’entendre sans pour autant totalement l’oblitérer. En tout cas, il y a une jonction entre le son et l’image qui est encore très prégnante : c’est la représentation type de l’audiovisuel. 

Je présente le geste manuel non comme un apprentissage mais comme l’essai d’une virtuosité et la preuve d’une excellence¹.

Dans une certaine mesure, cette AV se rapproche d’une commande vocale qui énonce le déroulement de la procédure à accomplir. Le véritable assistant est le MP qui apporte un conseil avisé à l’élève, conseil que l’AV est incapable de prodiguer. Nous savons que la mémorisation d’un savoir/savoir-faire passe par une construction mentale appelée modèle, chaîne opératoire ou encore schémas selon les disciplines. Dans l’utilisation de l’AV, l’élève fait pour faire créant un risque accru de phénomène “top/down“. L’élève souligne d’ailleurs que : “si on veut pouvoir utiliser l’AV, il faut se mettre à son niveau.” Il suit donc doctement les étapes mais les met-il en relation entre elles ? Comprend-il les interconnexions ? Sans ce déploiement de la pensée en schématisation de l’ensemble, l’élève passe à côté de quelque chose d’essentiel et risque de devenir un simple exécutant. Le risque d’uberisation de la tâche augmente, ne donnant plus aucun sens au savoir-faire et privilégiant le faire pour faire itératif et monotone. Un effet Sisyphe s’enclenche où seule prime la répétition stérile sans perspective au détriment de la finalité (telos). 

Si l’élève trouve l’utilisation de l’AV au top (l’effet “tout nouveau tout beau”), il est important de garder à l’esprit qu’il ne l’a utilisé que deux fois (soit deux heures environ). Cet enthousiasme serait-il toujours le même après plusieurs semaines ou mois d’utilisation ? La question reste ouverte et nécessiterait de pouvoir procéder à une ethnographie sur le temps long. Nous savons par des études menées en santé du travail que ces objets parlants, notamment les commandes vocales, peuvent vite amener l’utilisateur à un sentiment de robotisation, à un mal être et engendrer des troubles psychologiques (dépression, insomnie, etc.) surtout quand les échanges ne sont pas stimulants, n’offrant jamais que les mêmes mots répétitivement. 

Le caractère déshonorant du travail manuel est l’expression d’un symbolisme social : manipuler la matière, c’est s’avouer membre d’une classe sociale dominée. Le seul geste autorisé au membre d’une classe sociale dominante est l’ordre donné².

A suivre

1. G. Simondon, 1953. Place d’une initiation technique dans une formation humaine complète [↩]
2. ibid. [↩]

---

---