Avant-propos

La série de billets qui va suivre est le fruit d’un travail réalisé entre 2021 et 2022. Ce travail de recherche a été mené pendant mon post doctorat à l’Icam site de Toulouse autour d’une assistance vocale destinée aux ouvriers du milieu industriel. L’assistance vocale étant dans sa dernière phase de tests avant production et distribution. Elle a été testée auprès d’une équipe de maintenance de réseaux ainsi que d’étudiants et maîtres professionnels en école de production¹. Les résultats obtenus m’ont permis de réaliser quatre documents :

• le mémoire du diplôme universitaire Ethique et numérique 
• un article scientifique qui a été rejeté au dernier moment 
• un article scientifique co-écrit avec Yann Ferguson et la collaboration de Nicolas Blanc
• le rapport final du post-doctorat

Ces billets seront un mélange de recherche, d’essai, de documents hétéroclites, de toutes ces choses qui m’ont inspirée. L’assistance vocale que j’ai pu étudier a ouvert la porte d’un univers plus large : celui de la voix, celui de la conversation, celui du langage, celui de la technique, celui du numérique, etc. Jusqu’à arriver à ChatGPT mais ça, c’est encore une autre histoire.

Intermède – Juste une mise au point 

Il m’a été écrit que je faisais “un commentaire critique des assistants vocaux”.  Vous m’en voyez ravie car selon ce très cher CNRTL, lorsqu’il s’agit d’une activité scientifique, littéraire, etc. : “Qui implique une méthode d’examen mettant en jeu des critères variables selon les domaines, d’après lesquels il est possible de discerner les parts respectives des mérites et défauts d’une entreprise, d’une œuvre, d’un système de pensée.”

L’anonymat des relecteurs ne garantit en rien la qualité de la revue mais elle autorise des procédés dignes du concept de “transparence digitale” développé par Frédéric Tordo² : retard de rendu, revue de trois lignes³, crise de mécontentement car le relecteur attendait autre chose⁴, mots cinglants, imposer une bibliographie⁵, etc. Mais attention chers relecteurs, l’anonymat ne vous cache pas surtout quand vous laissez traîner des traces énormes de votre identité sur les documents. Il n’est jamais bien difficile de savoir qui relit nos papiers. Mais alors, est-ce que je mets dans le même panier tous les relecteurs ? Bien sûr que non. J’ai aussi reçu des revues aux petits oignons. Et parce qu’elles sont rares, elles n’en sont que plus précieuses⁶. Ce que j’aimerais (mais c’est sûrement là un doux rêve), c’est que les relecteurs envoient leurs évaluations en nom propre leur permettant ainsi de retrouver leur responsabilité. Aujourd’hui, c’est l’intelligence artificielle que l’on souhaite responsable. Comme le café ! Mais de quoi le café doit-il rendre compte ? A force de glissements sémantiques, on finit par vider les mots de leur sens. On demande à des objets d’être responsables là où les humains se dégagent de plus en plus de la leur. 

Est-ce que je vous parle aussi des délais de publications complètement ubuesques⁷ Non, ce serait trop long. Je pourrais aussi vous parler des retours contradictoires que je reçois sur un papier que je veux soumettre. L’un vous dira que votre sujet colle parfaitement là où l’autre vous dira que ça ne va pas. Mettez-vous donc d’accord ! Que de pertes de temps que tout cela…  Est-ce que c’est l’âge qui me fait dire : “Je n’ai plus de temps à perdre” ? Sûrement ! Heureusement, j’ai mon blog de recherche, blog que j’utilisais bien peu ces dernières années. Que voulez-vous ? Ainsi va la vie ! Vaillant blog de recherche qui toujours se tient prêt à recevoir mes écrits. Et ça, ça vaut toutes les revues du monde ! C’est ici désormais que je continuerai ma recherche et ailleurs, avec ceux qui souhaiteront une collaboration digne, efficace et joyeuse.

Fin de l’intermède ——————————————————————-

La voix qui souffle à notre oreille

Le titre La voix sans visage m’a été soufflé par Billy Idol. Sa chanson Eyes without a face cartonnait dans les années 80 et je n’ai pas échappé à l’engouement populaire. C’est le film d’horreur français des années 60 Les yeux sans visage qui l’a inspiré. Il mettait en parallèle sa propre vie en tournée. Son obsession sexuelle lui a fait perdre de vue la valeur de la relation qu’il avait déjà. C’est dans ce mot “obsession” au sens figuré que tout repose.  Une idée fixe qui s’impose à l’esprit de façon répétée : une préoccupation constante dont on ne parvient pas à se libérer. Billy Idol et le Dr Génessier (l’un des personnages principaux du film) se retrouvent prisonniers de leur obsession : le fantasme s’incarne bizarrement au détriment d’un réel qui se dilue. Ils perdent de vue ce qu’ils ont sous leurs yeux et qui a toujours eu de la valeur. Pour Billy Idol, sa relation amoureuse avec Perri Lister et pour le Dr Génessier, sa fille Christiane. Toutes deux existent, toutes deux sont investies d’une forte valeur affective qui va se pervertir sous le poids de l’obsession transformant le réel en spectre. Dr Génessier veut redonner un visage à sa fille et Billy Idol veut combler un vide par le sexe et la drogue. Aucun des deux ne fait face. Aussi défigurer que soit sa fille, Christiane est toujours en vie. Aussi nombreuses que puissent être ses relations sexuelles, c’est Perri Lister que Billy Idol aime. Mais à la fin, Christiane et Perri s’en vont.

A ma grande surprise, le premier synonyme au mot “obsession” donné par le CNRTL est le mot “spectre”. L’inconscient sent plus vite que son ombre. Et voici que déjà une réponse m’est donnée sur le travail mené jusqu’à présent. Vous le verrez dans les prochains billets, je parle de fantômes. Certains utilisent déjà les mots “spectre” ou “spectral” comme Eric Sadin⁸ ou David Le Breton. Je suis d’ailleurs ravie de la récente sortie du livre de ce dernier : La fin de la conversation ? La parole dans une société spectrale. Il y a trois ans, j’écrivais déjà sur la transformation de la conversation et on me répondait : “De manière générale, on ne voit pas où se situe l’originalité de votre texte.” Trois ans plus tard, David Le Breton s’engage dans cette voie qu’est l’évolution de la conversation via les objets numériques (notamment le smartphone) et cela fait mouche. C’est pour le mieux car c’est un sujet crucial dont il faut causer. L’occasion m’est offerte de ressortir tout ce travail de recherche dont une partie a déjà été publiée comme indiqué plus haut. 

Dans les prochains billets, je vous parlerai de la voix, de ces voix sans visage, de la conversation, de la communication, du choix des mots et des expressions pour parler de ces objets technico-numériques. 

A suivre.

1. Pour des raisons de confidentialité et de respect de l’anonymat, aucun nom ne sera révélé : ni ceux des participants, ni ceux des entreprises inclus dans la recherche [↩]
2. Surtout la seconde dimension, celle de désinhibition en ligne liée à l’anonymat, l’invisibilité, les réactions retardées et l’introjection solipsiste. [↩]
3. “C’est super, bisou !” Oui, ceci est une caricature. Qui a dit que la science devait être triste et sinistre ? [↩]
4. On ne sait pas vraiment quoi mais la déception est à la hauteur du compte-rendu. [↩]
5. La bibliographie de l’entre soi. [↩]
6. Merci à toi qui me réconcilies avec la science quand j’ai très souvent envie de lui claquer la porte au museau. A moins que ce ne soit la porte du milieu universitaire. [↩]
7. Cela fait maintenant trois ans que nous attendons d’être publiées avec une collègue. Je pense que nous allons changer de crèmerie. [↩]
8. Si quelqu’un connaît Eric Sadin, dites-lui que moi aussi je suis pour le retour des lettres d’amour. [↩]

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